Nous avons reçu un appel de l’infirmière hier soir.
Elle souhaitait nous proposer un rendez-vous vendredi matin, 24 janvier pour nous rencontrer. J’ignore de quoi nous allons discuter…
Elle nous a dit qu’il était possible que tu assistes à cette
réunion et ça me terrifie.
Nous sommes tiraillés ta mère et moi par la grande joie de
te revoir si vite (nous pensions que tout contact était proscrit pour les
prochaines semaines) et par l’obligation que nous aurons peut-être de te
décevoir en te laissant sur place même si tu nous supplies de t’emmener et cela même si tu nous promets que tu changeras.
J'ignore ce qui arrivera à cette réunion, peut-être demain
nous diront-ils que finalement, tu n'as pas ta place là et que tout n'est pas si
catastrophique...
L’infirmière nous a dit que tu assumais ta situation, que tu
ne pleurais pas beaucoup mais que tu t'ennuyais énormément. J'imagine que la
phase de "repos" que tu dois subir au début, cette phase où tu te retrouves
seul avec une jaquette d'hôpital à regarder dans le vide, a pour effet de
t'ouvrir l'esprit au changement, a pour effet de te "casser". Ça
doit être terrible, pardonne-nous.
Elle nous a aussi dit que tu ne comprenais pas pourquoi tu
étais là. Que dans ta tête, tu faisais des efforts et que tu mangeais ce que
l'on te disait de manger.
Laisse-moi ici te répondre...
Depuis le tout début de ta prise en charge, il y a 1 an, nous
t'avons protégé de tous les effets néfastes de l'Anorexie. Nous te tenions à
bout de bras et t’obligeons à manger, ce que tu faisais docilement pour éviter les
affrontements. Nous t'avons tellement protégé que tu en es probablement devenue à
être bien là-dedans. Pour toi l'Anorexie se résume maintenant à
manger le strict minimum en essayant de tricher de temps à autres... la
maladie a cédé le pas dans ta tête a une façon de vivre. Non!
L'Anorexie n'est pas une façon de vivre, c'est une façon d'éviter de vivre. On
ne peut pas éternellement te garder sur la mince ligne qui sépare la santé de
la maladie!
Tôt ou tard, nous ne serons plus là, tu partiras en
appartement et l'Anorexie sera tellement devenue normale pour toi
que tu t’enfonceras en te disant que tu as été ainsi toute l'adolescence, que
rien ne t'est arrivé donc que rien ne t'arrivera... et c'est faux.
Déjà, tu t'enfonces dans la culpabilité, la peur de sortir,
un certain isolement. Tu souffres d'aménorrhée, tu as toujours froid, tu es
pâle, tu es décharnée. Bientôt, tes os décalcifiés te lâcheront, tu te blesseras et tu ne guériras pas. Dans l'avenir, tu ne pourras plus avoir d'enfants, tu ne pourras
plus te passer d'antidépresseurs et tutti quanti...
C'est aujourd'hui que l'on doit réagir et cette hospitalisation
sera NOTRE cadeau pour toi, une façon de te DONNER les rênes de ta
vie, de te donner les outils qui te permettront maintenant d'assumer tes choix
et d'en discerner la portée.
Évidemment, ce n'est pas une décision personnelle. Nous nous
attendions à cela ta mère et moi. Les spécialistes qui te suivent nous ont confirmé
que tu ne comprenais pas la portée de ce qui t'arrivait. Tu ne mangeais que
pour éviter les affrontements et que tu trouvais cela normal. Dans la dernière
année, ils n'ont vu aucune modification dans ton regard sur toi-même... croyant
encore que tu n'étais pas VRAIMENT malade. Tu ne t'es pas investi dans la
dernière année... te mettant à détester les diététistes qui ne cherchait qu'à
te donner de bonnes habitudes de vie. C'est cet événement qui nous a emmené à comprendre que la maladie allait détruire ta santé AVANT que tu t'en rendes
compte et c'est pour cela que nous souhaitons dès maintenant te donner les
outils qui te permettront d'être heureuse dans la vie.
Il y a 4 étapes dans l'Anorexie:
1: La perte de poids
Nous
nous en sommes aperçus et t'avons prise en charge à ce moment
2: La stagnation
3: La reprise de poids
4: L'après anorexie
Tu es actuellement dans l'étape #2, la stagnation. Cette
étape peut être assez longue, tu peux y être encore quelques années mais cette
période doit être dynamique, c'est à dire que tu dois tranquillement t'ouvrir
et travailler pour t'en sortir. Présentement, elle n'est pas active... tu ne travailles
pas et laisse l'anorexie s'installer à un point où elle détruira ta vie.
Je t'aime, j'ai hâte de te voir demain.
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